Mon cher Alexander,
Ce second jour de Carême en retard, si je puis dire, est éprouvant.
Hier, je fus étonné par la facilité avec laquelle je résistai aux quatre tentations qui sont les miennes - les miennes de toute éternité, je le crains : tabac, alcool, anxiolytique et bouffe. Pas un écart, et sans souffrance ou presque (juste la sempiternelle frustration liée au fait qu’il faut se passer de toute consolation (un peu comme si la consolation précédait, devait précéder, voire carrément créer la peine afférente)).
Mais aujourd’hui, et depuis environ une heure de l’après-midi, je suis dans un état d’assez grande fébrilité, d’autant plus déstabilisant que cette fébrilité est arrivée sans crier gare, d’un coup.
C’est une grande sensation de vide dans le ventre, vide que l’air semble se faire un devoir de combler, comme toujours en pareil cas : je me sens ballonné, et comme plus gros qu’avant ce régime (ce qui est bien sûr une aberration).
C’est l’impression de lenteur, de lenteur inéluctable, et surtout celle de lenteur du cerveau : je comprends moins vite, les mots me viennent moins aisément, j’ai besoin de silence pour me concentrer, et d’absence de tout mouvement autre que les miens pour faire quoi que ce soit.
C’est une grande angoisse, en fin de compte. L’angoisse de chuter, chuter jusqu’à ne plus me retrouver, l’angoisse de perdre définitivement quelque chose, d’être mutilé, littéralement. Peut-être même celle de mourir.
Cette chair de poule qui ne me quitte pas est terrifiante.
Sans doute le risque de prendre goût à tout cela ne l’est-il pas moins.
Et pourtant il faut poursuivre cette espèce de régime. Rappelons-le : le matin trois biscottes de farine complète ou trois tranches de pain intégral avec un fruit, et le soir une assiette remplie au tiers de céréales complètes ou/et légumineuses et de deux tiers de légumes, plus éventuellement un fruit. Le vendredi, je souhaite jeûner intégralement. Y parviendrai-je ?
Je veux tenir jusqu’à Pacques.
Je souhaite que tout cela ait un sens. J’essaie de trouver du sens au sens. Donner du sens, cela ne veut rien dire. C’est le trouver qu’il faut.
Dominique Fabrovitch, Lettre à Alexander Crouvitchev, in Correspondance Complète n°13
mardi 22 mars 2011
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1 commentaire:
Bon, et à part la boustifaille, de quelle couleur sont les clignotants ?
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