Ilumina oculos menos, nequando obdormiam in morte : nequando dicat inimicus meus : Praevalui adversus enum.







samedi 31 juillet 2010

Confession d'un enfant du rien

Rien ne me prédiposait à être tourmenté par les affaires politiques de mon pays, absolument rien, à son devenir, à ce qu'il est, à sa disparition possible, aux doutes concernant sa survie.
Issu d'une famille d'ouvriers non politisés, non syndiqués, et d'artisans travaillant à leur compte, j'ai traversé mon enfance sans aucune conscience politique, en moi comme autour de moi, comme si les affaires publiques n'étaient pas de notre monde, mais le domaine réservé de quelques nantis bien obligés d'occuper leurs journées. L'ignorance le disputait à la condescendance. Nous nous sentions, sans même en avoir conscience, en-dehors de l'Histoire.
Les années 80 furent une bulle d'amnésie collective et le suicide festif de notre conscience.
La classe ouvrière lasse aspirait au confort de la petite-bourgeoisie, la publicité le leur promettait, leur paye y pourvoyait modestement. Les radios dites libres gueulaient leur liberté comme les aristocrates chez Sade savouraient la leur : en s'y vautrant. Les classes dirigeantes culpabilsaient ou faisaient semblant : il leur fallait se montrer sympas. Le fric, lui, était totalement désinhibé : ce fut le règne du fric pour le fric, le Parnasse de la conquête du pognon.
Mais il fallait, au milieu de ce vide idéologique, teinter son désert d'apparence de grandeur comme une putain se donne des airs de vertu en refusant d'embrasser : l'idéologie dogmatique anti-raciste institutionnalisée était née. Incapable d'enrayer le chômage, incapable de grandeur, incapable de produire du sens, incapable d'avoir sa place dans l'histoire du monde, la France se servit de sentiments louables comme d'un paratonnerre la protégeant de la foudre du réel : il nous tombe aujourd'hui à la gueule avec d'autant plus de force que ce paratonnerre ne s'est pas contenté d'être planté comme un épouvantail de nos médiocrités, oh non : il nous a servi à nous flageller.
Salauds de Blancs ! Salauds de colonisateurs ! Salauds de collaborateurs ! Salauds d'esclavagistes !
La repentance et le devoir de mémoire sont bien jolis, mais pour qu'ils soient bénéfiques il faut qu'ils soient partagés : ne l'étant pas, ils ne peuvent que se retourner contre ceux qui en font acte.
Dont acte.
Nous sommes en 2010, et l'heure n'est plus aux branlettes soixante-huitardes de nos prédecesseurs et aux utopies d'ouverture : nous sommes déjà dilatés.

Non, vraiment, rien ne me prédisposait à ces tourments politiques. Je déteste ça, je crois, la politique. Je comprends la génération qui a précédé la nôtre : elle a cru à la toute-puissance de l'accomplissement de l'individu. J'aurais fait pareil, j'y aurais cru de la même façon, dans le contexte qui fut la sienne.
Mais je lui en veux, aussi, à cette génération qui n'a connu aucune guerre, à cette génération qui a connu le plein-emploi, la baise sans capote, le sentiment de liberté. Car que nous lègue-t-elle ?
L'impossibilité de croire en ce bonheur, l'impossibilité de le vivre. Et surtout, surtout, l'impossibilité de croire en nous. Car la guerre qui ne viendra plus, nous l'avons déjà perdue.