Ilumina oculos menos, nequando obdormiam in morte : nequando dicat inimicus meus : Praevalui adversus enum.







samedi 27 octobre 2012

Au nom de la Mère



- Chacun son hobby.
- Quel est le vôtre ?
- Ressusciter.

Ce n'est pas tous les jours que l'on peut assister à un duel entre les avatars putatifs de Jésus-Christ et Lucifer.
Avatars car fils non du Père mais de la Mère, en l'occurence "M" (on n'ira pas chercher loin les lettres qui devraient suivre ...), chef du MI6, célèbre agence de renseignements et d'espionnage britannique.
James Bond et le méchant de ce Skyfall prodigieux se livrent une bataille que l'on pourrait qualifier de fraternelle : tous les deux maltraités par M, mais l'un (Silva, jubilatoire Bardem) dont "Maman" (comme il l'appelle avec cette ironie des fils déchus qui est leur seul moyen d'exprimer leur sincérité) a « voulu rendre son passé aussi inexistant que son avenir », tandis que l'autre a été victime de l'intransigeance maternelle au début du film : en ordonnant à sa coéquipière de tirer sur un adversaire de Bond avec lequel ce dernier se battait sur un train, M s'est rendue coupable : Bond a reçu la balle et failli en mourir - c'est effectivement en ressuscité ( mais non rappelé par sa mère) qu'il va se présenter devant elle en une scène crépusculaire à souhait. Mais M va le réintégrer (tout le monde le croyait mort) malgré ses défaillances (Bond est un être qui souffre et qui faillit dans ce dernier épisode) dans le MI6.
Silva, lui, va vouloir se venger de "Maman", M qui l'a désavoué et fait empoisonner car le mauvais fils est allé trop loin dans une mission de son seul gré, et six membres du MI6 ont failli périr.
M est d'ailleurs elle-même mise à rude épreuve : le gouvernement britannique lui reproche d'être responsable de pertes humaines, ce qui nous vaudra une scène sublime d'audition de M devant une ministre et divers représentants du gouvernement qui se ponctue par un montage parallèle où l'on entend M dire un poème de Tennyson (où il est question d'issue dans l'obscurité, et de menace non visible en pleine lumière) et où l'on voit Bond et Silva venir à elle.
Car dans un monde où l'on parvient à pirater les ordinateurs du MI6 en demandant à M de façon récurrente de se souvenir de ses pêchés, on ne peut plus chercher l'ennemi : il faut le faire venir à soi en s'extrayant soi-même de son monde désormais infiltré - et c'est en cela que Skyfall est un grand film réactionnaire. Pour pouvoir se retrouver enfin face à Silva dans un endroit que ce dernier n'aura pas choisi, il faut troquer la voiture moderne balisée pour reprendre la vieille Aston Martin que l'on croyait disparue avec Sean Connery, il faut oublier Londres et revenir dans sa maison familiale sur laquelle veillait un vieux monsieur « avant même que tu sois né, James » ; pour se raser il faut un rasoir à l'ancienne, une bonne vraie lame que sa coéquipière pourra vous passer sur la peau, sinon ce n'est pas bandant, etc.
Dans un monde où se battre pour la Mère devient un enjeu vital il n'est pas de place pour l'attachement à une femme et Eros ne peut exister que sous la forme de Thanatos : la James bond girl de ce film n'a quasiment aucune place mais est d'une puissance érotique vertigineuse lorsqu'on la voit la lèvre tuméfiée, les mains ligotées et les seins à demi-dévoilés dans toute leur opulence par un tabassage que l'on devine : la menace ludique initiée par le rasoir manipulé par la coéquipière sera mise à exécution par le corps meurtri de la James Bond girl sur la tête de laquelle Silva posera un verre de whisky - le défi est lancé à Bond : tu sais tirer, tire le premier, dézingue le verre. Bond échoue. Silva réussit : le fils déchu tire mieux que le fils prodigue, il l'a baisé (« pour tirer je te prends quand tu veux », lui susurre-t-il d'ailleurs à l'oreille avant de tirer) ainsi que sa conquête.
Cela se finira donc en Ecosse, et comme il se doit dans une chapelle, après que la maison familiale fût devenue un brasier gigantesque.
M a été blessée au ventre (il n'y a pas de hasard) par un des sbires de Silva, ce dernier la prend dans cette chapelle, lui fait tenir son arme, la braque sur sa tempe à elle et pose sa tête à lui contre sa tête à elle joue contre joue et lui dit de tirer, car elle seule le peut, qu'elle les tue donc tous deux d'une seule balle - à défaut d'avoir pu partager leur vie qu'ils partagent leur mort. Bond arrive et tue Silva en lui jetant un poignard dans le dos : Bond a perdu. Silva est certes mort mais avec honneur, Bond reste vivant en tuant par derrière - le cynisme du pragmatisme entrevu plus tôt dans un musée où un jeune homme qui se révèlera être un coéquipier important de Bond lui demandait ce qu'il voyait dans un tableau devant eux (« moi je vois deux bâteaux ») se manifestera pleinement dans ce geste. Mais oui, Silva gagne, et au carré : même si c'est dans les bras de Bond en une pieta inversée et renversée, M mourra.

3 commentaires:

Georges de La Fuly a dit…

J'ai très envie de voir le dernier James bande !

Pascal Labeuche a dit…

J'en suis très heureux Jérôme ! Hélas j'en ai dit beaucoup concernant l'intrigue ... Mais oui, allez le voir ! Peut-être partagerez vous ainsi mon enthousiasme !

Marcoroz a dit…

Moi, s'il y a une chose qui m'horripile maintenant chaque fois que je regarde un film de James Bond, ce sont ces moments où l'on voit les personnages qui courent ou se tiennent debout sur le toit des wagons d'un train lancé à pleine vitesse, aussi à l'aise s'ils étaient sur un sol plat et stable.