Ilumina oculos menos, nequando obdormiam in morte : nequando dicat inimicus meus : Praevalui adversus enum.







samedi 2 juin 2012

Sur la route



Voyager en bus, surtout lorsque c'est pour se rendre au bureau, comme on dit, est une chose désagréable. Vous n'avez pas de place pour vos épaules, vous n'avez pas de place pour vos jambes, vous n'avez pas de place pour laisser s'échapper vos rêves qui pourraient vous faire humer l'air des vastes collines.
Le type qui est venu s'installer à côté de moi puait. Ce qui rend ses congénères insupportables c'est leur odeur. On pourrait à la limite tolérer leur suffisance, leurs gueules au mieux insignifiantes, leurs raisonnements ineptes, leurs gestes sans grâce, leurs démarches sans charme, leur lourdeur, même, on pourrait s'en accommoder. Mais leur puanteur, non, jamais. Il ne me faut que des jeunes femmes fraîches dans mes parages. Je ne les touche pas, je ne leur parle pas, je ne leur fais aucun mal - mais au moins je peux les renifler. Tout sent bon chez une jeune femme fraîche ; quand elle devient faisandée c'est bon à jeter - mais passons.
Il suintait de graisse et de pisse par tous ses pores, le type à côté. J'aurais encore préféré le voir nu - il aurait été tel qu'en lui-même, au moins, au lieu de vouloir retenir sa laideur en des vêtements même pas laids. J'avais beau me plaquer contre la vitre ses bras velus m'offraient en gage d'indifférence la sueur de sa décomposition. Il respirait fort. Le drame avec l'humain c'est que sa puanteur ne lui suffit pas : il faut que s'y ajoute le bruit de son souffle d'agonisant perpétuel. Il ne savait pas non plus rester immobile. Ses couilles devaient coller dans la macération de son jus d'entre-cuisses. Le bus démarra. C'est inconfortable, un bus, on ne le dira jamais assez. Il faut bien comprendre la chose. La compression, la puanteur, la moiteur, le bruit, et maintenant les vibrations. Et je n'aime pas être à la place d'un gode quand je ne choisis pas mon trou du cul.

Je me souviens parfaitement du moment où il est mort. Les spectateurs n'ont pas pu voir ça, mais moi je l'ai très bien senti. Après un énième coup de poing dans sa gueule j'ai senti un os de sa nuque se fracturer - c'en était fini. Il n'y eut alors plus aucune résistance. Les yeux partirent - c'est très impressionnant, et très beau, de voir des yeux partir ainsi vers leur orbite. Retournez donc dans votre berceau, doux et suaves globes ! Que la révulsion soit votre linceul, le vertige votre insubmersible tombeau ! Je ne me suis pas arrêté de cogner pour autant. La mort ne suffit pas : c'est l'ivresse de l'anéantissement qu'il nous faut chercher dans la quête inextinguible de notre âme lasse. Il avait tellement grogné pendant son trépas, son attitude était si peu digne, la mort ne peut donc pas être pudique parfois bordel ?!
Quand mes poings finirent par s'enfoncer dans le néant de son être disparu je me tins droit et tentai de reprendre mon souffle.
Hélas il puait encore plus mort que vivant. Je voulus me soulager en lui pissant dessus mais le regard d'un enfant, au loin, m'arrêta : j'ai moi aussi été un enfant en quête de pudeur. Ma queue resta dans son écrin et, redevenu enfant moi-même, je m'écroulai sur mon cadavre adoré et dans une étreinte d'une innocence fiévreuse enfouis mon nez dans son crâne.
Dormir, enfin.

2 commentaires:

Marcoroz a dit…

Excellent ! Ton expérience de l'enfer du bus me renvoie à la mienne, qui m'inspirait les mêmes sentiments. J'aime beaucoup aussi la deuxième partie et son effet de surprise. Là, j'ai pensé un instant à Lautréamont... Mais même si cela y ressemble par moments, ce n'est pas du Lautréamont : c'est du Beuche, et du bon !

Pascal Labeuche a dit…

Merci beaucoup Marc.