
Qui comprend bien son temps ? Comment savoir la vérité et qu'est-ce qui pousse à vouloir savoir la vérité ? Pourquoi des littérateurs, des journalistes, de rares écrivains se croient-ils détenteurs d'une autorité permettant de parler de tout, de donner des leçons et pensent-ils avoir la capacité de jouer au prophète ? Pour ma part, je souscris à des propos récents de Claude Lévi-Strauss : « Au XIXème siècle, certains intellectuels vivaient encore sur une tradition qui remonte à Voltaire. Un Victor Hugo pouvait se croire capable de juger tous les problèmes de son temps. Je ne crois plus cela possible. » Il précisait que son autorité intellectuelle reposait sur la somme de travail qu'il avait accomplie, dans des domaines limités, et que c'était seulement dans ces domaines qu'il pouvait juger ; se prévaloir ailleurs de son autorité serait un « abus de confiance »(1).
On voit, à l'extrême droite comme à l'extrême gauche, beaucoup d'intellectuels engagés, c'est-à-dire en grande majorité des frontaliers des milieux intellectuels, des semi-intellectuels, qui usent de leur nom, au rayonnement parfois bien limité, pour parler de tout. L'extrême droite se distingue par l'importance numérique de polémistes bien connus : ce sont, tout naturellement des hommes de refus, et très largement des hommes de plume qui ont échoué dans le roman ou le théatre. François Mauriac, réfléchissant au destin du pamphlétaire après le procès de Lucien Rebatet, en donnait la clé : il « m'apparaît comme une fatalité à laquelle sont voués certains esprits nés avec un grand don littéraire, mais qui ne leur permet d'exceller dans aucun genre. On ne commence jamais avec le pamphlet. Une existence consacrée à l'invective, comme celle de Léon Daudet, prend toujours sa source dans un cimetière d'oeuvres avortées. Sur le cadavre de ses romans et de ses pièces, un écrivain magnifiquement doué, trouve l'alibi politique, rend au "style" son sens étymologique de "poinçon", de "petit poignard", et le retourne contre ses contemporains avec une rage qui ne choisit pas »(2).
Jeanine Verdès-Leroux, Refus et violences, Gallimard, 1996
(1) Claude Lévi-Strauss, Didier Eribon, De près et de loin, Paris, Ed. Odile Jacob, 1988, p.219
(2) François Mauriac, « La leçon d'un verdict », Le Figaro, 26 novembre 1946
6 commentaires:
Eh bien oui, mon cher Labeuche, je ne le dirais jamais assez, Rémoiron avec son Opium des Intellectuels brosse le tableau de ce que nous vivons à présent sans manquer d'égratigner soigneusement les admirateurs du soviétisme des années 50 parmi lesquels il évoluait.
Cela rejoint ce texte dans le sens où les "intellectuels", ma foi, leur tête c'est avec ça qu'ils pensent et qu'ils vivent, accueillis dans la grande famille cérébrale du moment.
Cet avis n'engage que moi, et je n'ai d'ailleurs rien contre les intellectuels. Car ici comme aileurs il y a les bons et les mauvais.
Que penser par exemple d'un Aragon qui par un vif courrier rappelle Picasso à ses devoirs et l'enjoint d'adresser ses voeux d'anniversaire à Staline en les accompagnant d'un petit cadeau ?!! Quel aveuglement ! Quelle opacité !
Je vous soumettais récemment ma découverte de "Goupi-Mains Rouges" et le plaisir que j'y ai pris.
Je l'avais vu sans le voir en famille dans les années soixante à la télé. Mes deux grands-pères étaient là. L'un maréchal-ferrant et l'autre agriculteur. Je me souviens de leurs réactions et de leur plaisir.
Ce qui m'épate avant tout c'est l'universalité de la chose... le fait qu'un authentique bout de chef d'oeuvre ne soit pas réservé à une élite mais au contraire plaise à des degrès différents à environ tout le monde. Bien-sûr ce n'est pas à cette aune qu'on peut estimer l'art et l'oeuvre, mais à une certaine forme de don qui sans trop d'efforts et au moment adéquate, puisse être reçu par toutes les têtes possibles, aussi simplement ornées soient-elles...
Ce dont vous parlez avec ardeur n'est pas tout à fait ce vers quoi nous amène ce texte, il me semble...
Pour tout dire je n'ai pas compris ce texte qui commence par une interrogation générale et se perd dans le particulier...
Il ne se perd dans rien du tout.
Peut-être le sous-titre vous aidera-t-il à mieux le saisir : « Politique et littérature à l'extrême droite, des années trente aux retombées de la Libération ».
Me conseilles-tu la lecture de ce livre ?
Vivement.
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