Parfois il m'arrive de penser à ma Renault 19.
Où vis-tu, à présent
? Attends-tu fébrilement les coups de butoir dans une casse pour faire
de toi un César ? Sers-tu de cheval mécanique dans quelque rodéo
péri-urbain en proie au premier zyva venu ? Te fais-tu conduire par un
amoureux des Renault 19 Storia 1995 vertes ?
Ah, Renault 19, ma
Renault 19, je me souviens de toi, tu sais, comme tu étais lascive
devant le champ, tu te rappelles, ce champ qui était, en définitive, mon
champ, et qui vit encore, la preuve je suis passé devant il y a deux
jours, que les collines rabastinoises sont belles mon Dieu, te
souviens-tu de leurs courbes sur lesquelles tu ondoyais fièrement, à la
merci de la première bourrasque venue, ah tu n'as jamais été très
costaude, ma pauvre, tu as toujours tiré à droite également, pour rouler
droit je devais orienter le volant à gauche, pour tourner à gauche je
devais presque te tourner avec mes bras, que serait-on devenu, ô Renault
Storia, si j'avais continué à te conduire ? Tu n'étais pas avare de
fumées, tu sentais le gasoil jusque dans l'habitacle, ce n'était pas le
moindre de tes charmes, et ta propension à ne pas vouloir freiner avait
son attrait mais ses limites, également ; te souviens-tu lorsque nous
avons failli mourir dans les bras l'un de l'autre près de
Saint-Paul-Cap-de-Joux ? Cela rapproche, c'est évident.
Une fois
j'avais laissé tes fenêtre souvertes, je voulais t'aérer,
malheureusement il avait fait un orage et tu étais trempée à
l'intérieur. Oh, tu ne t'es pas plainte, tu es restée bien digne, mais
tu as beaucoup pué l'humidité depuis ce jour-là - on se demandait alors
s'il ne valait finalement pas mieux l'odeur du gasoil, ça nous donnait
le choix et ouvrait le champ des possibles. Au début, quand je t'avais
achetée, s'était posée la question de te mettre une nouvelle plage
arrière - tu en étais dépourvue et ton coffre était nu. J'ai toujours
aimé te voir nue, et d'ailleurs ne fermais jamais tes portières - tu
n'as jamais suscité le désir, ma pauvre Storia, personne n'a jamais
tenté de s'introduire en toi, même l'autoradio, tout brinquebalant car
je l'avais acheté non adapté à l'ouverture pour l'y mettre ne s'est
jamais fait voler - finalement c'est comme si tu n'existais pas, sur les
parkings où je te laissais parfois. Même ce week-end de juillet où,
dans la zone industrielle Piquerouge de Gaillac (ah, quelle poésie des
noms), alors que t'ayant garée j'avais laissé tes portières
déverrouillées et toutes tes vitres ouvertes, j'avais perdu les clefs,
tes clefs, nos clefs, ma douce Storia, personne n'a rien tenté de mal
sur toi, personne, en plein parking en plein mois de juillet en plein
week-end, j'étais effrayé pourtant, mon Dieu mais qu'allait-on faire de
toi ? Eh bien rien, justement, jusqu'à ce que la gendarmerie retrouve
les clefs, mes clefs, tes clefs, nos clefs, et alors je suis venu te
récupérer, tu m'attendais, et on est reparti ensemble bras dessus volant
dessous entre Gaillac et Rabastens, la ligne est droite, trop droite
pour toi, je tiens bien le volant à gauche ne t'inquiète pas on ne va
pas mourir, le soleil ne nous quittera pas, les platanes ne nous veulent
aucun mal, le champ, notre champ, est bientôt devant nous.
samedi 23 avril 2016
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