Ilumina oculos menos, nequando obdormiam in morte : nequando dicat inimicus meus : Praevalui adversus enum.







samedi 23 avril 2016

31/06/15

Parfois il m'arrive de penser à ma Renault 19.
Où vis-tu, à présent ? Attends-tu fébrilement les coups de butoir dans une casse pour faire de toi un César ? Sers-tu de cheval mécanique dans quelque rodéo péri-urbain en proie au premier zyva venu ? Te fais-tu conduire par un amoureux des Renault 19 Storia 1995 vertes ?
Ah, Renault 19, ma Renault 19, je me souviens de toi, tu sais, comme tu étais lascive devant le champ, tu te rappelles, ce champ qui était, en définitive, mon champ, et qui vit encore, la preuve je suis passé devant il y a deux jours, que les collines rabastinoises sont belles mon Dieu, te souviens-tu de leurs courbes sur lesquelles tu ondoyais fièrement, à la merci de la première bourrasque venue, ah tu n'as jamais été très costaude, ma pauvre, tu as toujours tiré à droite également, pour rouler droit je devais orienter le volant à gauche, pour tourner à gauche je devais presque te tourner avec mes bras, que serait-on devenu, ô Renault Storia, si j'avais continué à te conduire ? Tu n'étais pas avare de fumées, tu sentais le gasoil jusque dans l'habitacle, ce n'était pas le moindre de tes charmes, et ta propension à ne pas vouloir freiner avait son attrait mais ses limites, également ; te souviens-tu lorsque nous avons failli mourir dans les bras l'un de l'autre près de Saint-Paul-Cap-de-Joux ? Cela rapproche, c'est évident.
Une fois j'avais laissé tes fenêtre souvertes, je voulais t'aérer, malheureusement il avait fait un orage et tu étais trempée à l'intérieur. Oh, tu ne t'es pas plainte, tu es restée bien digne, mais tu as beaucoup pué l'humidité depuis ce jour-là - on se demandait alors s'il ne valait finalement pas mieux l'odeur du gasoil, ça nous donnait le choix et ouvrait le champ des possibles. Au début, quand je t'avais achetée, s'était posée la question de te mettre une nouvelle plage arrière - tu en étais dépourvue et ton coffre était nu. J'ai toujours aimé te voir nue, et d'ailleurs ne fermais jamais tes portières - tu n'as jamais suscité le désir, ma pauvre Storia, personne n'a jamais tenté de s'introduire en toi, même l'autoradio, tout brinquebalant car je l'avais acheté non adapté à l'ouverture pour l'y mettre ne s'est jamais fait voler - finalement c'est comme si tu n'existais pas, sur les parkings où je te laissais parfois. Même ce week-end de juillet où, dans la zone industrielle Piquerouge de Gaillac (ah, quelle poésie des noms), alors que t'ayant garée j'avais laissé tes portières déverrouillées et toutes tes vitres ouvertes, j'avais perdu les clefs, tes clefs, nos clefs, ma douce Storia, personne n'a rien tenté de mal sur toi, personne, en plein parking en plein mois de juillet en plein week-end, j'étais effrayé pourtant, mon Dieu mais qu'allait-on faire de toi ? Eh bien rien, justement, jusqu'à ce que la gendarmerie retrouve les clefs, mes clefs, tes clefs, nos clefs, et alors je suis venu te récupérer, tu m'attendais, et on est reparti ensemble bras dessus volant dessous entre Gaillac et Rabastens, la ligne est droite, trop droite pour toi, je tiens bien le volant à gauche ne t'inquiète pas on ne va pas mourir, le soleil ne nous quittera pas, les platanes ne nous veulent aucun mal, le champ, notre champ, est bientôt devant nous.

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