Ilumina oculos menos, nequando obdormiam in morte : nequando dicat inimicus meus : Praevalui adversus enum.







lundi 15 avril 2013

Ainsi soit Je



Je ne sais pas bricoler. Je déteste bricoler. La seule et simple vue d'un marteau ou d'une perceuse me donne envie de vomir.
Je ne supporte pas de croiser un homme arborer fièrement un tee-shirt maculé de plâtre et parader d'un air bravache en pourfendant l'air comme pour dire : j'ai à faire, moi, je fais des travaux dans ma maison.
Je ne supporte pas les travaux dans la maison : autant construire son cercueil et dormir dedans : ce serait plus sage.
Devenir propriétaire ? Nous sommes en transit dans l'existence, pourquoi faire semblant de pouvoir posséder quoique ce soit d'icelle ? Je n'y crois pas.
Je ne suis pas très sportif. J'aime bien l'état qui suit l'activité physique : cet abrutissement évite d'avoir à penser, c'est reposant. Mais on ne peut pas dire que ce soit ma spécialité.
Quand j'ai eu 18 ans je me suis levé en me disant : "Tu vas mourir." Certes tout le monde le sait, mais personne n'en tient compte. Moi si. Pour apporter de la joie lors d'une discussion galante, il y a mieux.
En général ce que l'on me dit ne m'intéresse absolument pas. Tenir une conversation m'est souvent très pénible : à part certains corps et visages les autres ne m'intéressent guère, sauf exceptions qui confirment la règle.
Il y a un manque de charme patent chez mes congénères. On me dit que ça ne compte pas, que je suis élitiste, et pour qui je me prends d'abord, hein. Mais je n'y peux rien : avec les autres souvent je m'emmerde, alors qu'avec moi jamais.
Souvent on me dit que ce que j'écris est glauque, triste, négatif. C'est désolant de voir que ce qu'il y a de plus vivant en moi est ainsi perçu.
Il faudrait sourire, sortir, converser, être léger et enthousiaste dans ses rapports sociaux. Mais comment bondir vers les autres quand ils se révèlent souvent si prévisibles et lorsqu'on constate de plus en plus en avançant dans l'âge qu'ils ne sont que la copie d'autres qui nous avaient déjà exaspérés avant ?
Il faudrait avancer le coeur léger dans la vie.
Non, décidément, je ne peux pas.

Je crèverai seul.



3 commentaires:

Marcoroz a dit…

C'est tout moi quand j'étais plus jeune !

PAUL FREVAL a dit…

sublime
pf

Anonyme a dit…

Peut-être votre problème avec le bricolage tient-il tout entier au fait que vous y cherchez encore et toujours un accès direct à l'Essentiel, au Transcendant... alors qu'il s'agit - précisément - d'y apprendre à jouir du contraire... Les activités manuelles ne sont pas seulement un but en soi, - on ne répare pas une chaise pour le seul plaisir de jouir de l'usage d'une chaise - elles sont aussi l'une des modalités de la contemplation. Quand on a été longtemps torturé par son propre esprit - quand on a connu l'acédie, l'aboulie, le désespoir - on gagne à s'occuper les mains avec des tâches raisonnables : il semble que les tâches manuelles impulsent leur rythme à l'esprit pensant - un peu comme les gestes des marins inspirèrent le rythme des chansons marines - et lui confèrent une vitalité nouvelle... Les personnalités les plus complexes, les plus avides de systématismes et d'abstraction, gagnent justement à connaître cette fluidité, cette aisance nouvelle, avec laquelle la pensée s'écoule, lorsqu'on la libère de soutenir le poids corps, en occupant celui-ci.

De même, il est important pour un homme ou une femme de montrer à autrui - et plus encore de se montrer à lui-même - qu'il est encore capable d'entretenir sa maison en bon état de marche : la maison, comme le corps, est un véhicule grâce auquel nous sommes amenés à passer les épreuves de la vie. Pour cela, le christianisme invite ses fidèles à respecter leur corps comme ils le feraient d'une Eglise... et par extension ils doivent, à l'image de Pierre, veiller à tenir en ordre leur propre maison. Ne dit-on pas "Comme on fait son lit, on se couche !" ? La propreté des mœurs rejaillit sur la santé de l'âme. Ne dit-on pas également : "Ce qui blesse les yeux, blesse l'âme" ? Car ils doivent se tenir disponibles dans l'attente du Christ, car leur corps est la maison du Christ, car ils doivent faire en sorte qu'Il daigne venir l'habiter.

Les anglais, ces partisans du /happy few/ n'ont pas tort de considérer la pratique de hobbies comme une sorte d'hygiène (sociale&psychologique) de base. On peint des carreaux de cuisine comme on se brosse les dents : dans l'attente d'en avoir l'usage. Il faut bien s'entretenir un peu dans sa own-private folie, si l'on ne veut pas qu'elle se lasse d'elle-même ! Il faut bien nourrir cet animal de compagnie qu'est la petite créativité du dimanche, dans l'attente éventuelle qu'elle donne un jour naissance au Génie ! Tous les arts majeurs ont un socle d'artisanat - l'humilité de l'artisanat est pour eux à la fois un refuge, une politesse et une façade -, comme la race humaine a un socle simiesque. Faber, l'artisan, ou celui qui apprend par imitation, tient entre ses mains la cornue, qui est le seul medium possible du Grand Oeuvre : nous sommes tous les /singes/ des maîtres avant que de les supplanter.

L'art de rester en vie, d'entretenir la flamme qui nous anime, sans pour autant s'y consumer, n'est rien d'autre, à proprement parler, qu'un vaste, perpétuel, bricolage... Et voilà sans doute pourquoi les hommes aiment à donner des preuves de leur capacité à s'y exercer !

Je vous renvois, à titre d'illustration, à la Parabole des Jeunes Filles et des lampes à huiles, dans la Bible.

B à v.